Réflexions désespérées

Comment j’ai fait mon compte pour m’retrouver coincé dans les barreaux d’ce stupide escabeau ? Ma salle de bain violette est pas si moche, puis j’sais bien qu’j’suis nul en travaux d’intérieur, ma Lulu m’le disait toujours. « T’es pas un bricolo Pierre ! Tu vas t’casser encore un truc ! » Elle avait raison. 

Qu’ c’est long… J’ai mal, j’ai faim, j’ai soif, j’me suis pissé dessus. Le soleil s’est couché et levé 3 fois déjà j’crois, c’est insensé. J’vais mourir ici, la tête enflée, le cul en l’air, quelle mort absurde ! Qui viendra à mon enterrement ? Personne n’a appelé, ni n’est venu sonner à la porte. J’ai gueulé pourtant mais personne m’a entendu. J’suis seul comme un vieux con ! Qui va v’nir ? 

Ma Lulu est d’jà partie d’puis longtemps, elle doit bien s’marrer d’là-haut. J’l’entends d’ici avec sa voix rauque : « Ah!  Mais Pierre, Pierre ! Faut toujours qu’tu fasses les conneries l’une après l’autre, hein, tu peux pas t’en empêcher ! » Elle avait raison. 

Mes sœurs ? Babeth, ouais, elle doit passer d’main ou dans deux jours d’ailleurs j’sais plus, ça d’vient flou. C’est sûrement elle qui m’trouvera froid. Lison, pff, elle viendra pas d’Lille pour enterrer son connard d’frère. Elle aime pas voyager, elle a jamais pu sacquer les Vosges et on s’est pas parlé d’puis 20 ans, d’puis que les parents ont claqué.

Mon vieux Léon, lui, mon pote des bancs d’école. M’étonnerait qu’il puisse sortir d’son hospice, puis avec son AVC il a dû oublier qui ch’ui t’façons; il sait même plus son propre nom. C’est triste… qu’est-ce qu’on a pu se marrer ensemble.

Le gros Marcel des fruits et légumes ? Il est tellement gras qu’son bide dégouline de sueur sur ses pommes, j’suis sûr qu’il f’ra une corbeille tiens. Pommes et poires goût gros lard ah ah… Aïe ! Oh, j’peux même plus m’marrer ça fait un mal de chien. 

Les gars du PMU, eux, ils vont bien venir, tout moment sans leur bobonne est bon à prendre. Puis s’ils servent du pinard y’a même moyen que ça chante et que ça verse sa p’tite larme. Vont pas tarder à me suivre ceux-là.

Ah ! La petite voisine ! La belle nénette qui m’fait toujours des petits yeux rieurs avec son minishort là. L’est mignonne… Mourir en pensant à elle c’est pas mal. Aïe ! Bordel, non, même ça j’peux pas !

Le facteur peut-être, l’est gentil lui. Il vient toujours boire son canon l’samedi. « Un pastis, un seul ! » qu’il dit, puis y repart au bout d’quatre sans avoir rien dit d’autre, les yeux dans le vague. Pauv’vieux.

Qui d’autre…

C’est tout ? 

J’ai dû tuer vingt minutes et j’compte pas plus d’dix gonzes ? « Vie de merde, caractère de merde » elle disait la Lulu. Elle avait raison. J’vais penser à quoi maintenant? C’est long d’crever. 

Putain, si j’m’en sors, je jure d’me r’mettre à la belote avec les seniors du quartier.

De tailler ma haie pour pas faire gueuler l’voisin puis d’l’inviter à bouffer tiens. 

D’aller à la messe de temps en temps, enfin, Pâques et Noël, faut pas pousser. 

De prendre le train pour Lille pour voir la Lison et lui rendre le vase de maman.

D’acheter un blouson en cuir avec des franges et d’passer mon permis moto.

D’réécouter du Johnny; elle aimait pas la Lulu. « J’aime pas, ça gueule » qu’elle disait. Elle avait tort, c’est bien Johnny.

J’vais l’finir c’maudit puzzle de 1500 pièces avec les tigres, même si l’aspirateur a bouffé la moitié des bords. 

J’repeindrai cette foutue salle de bain enfin plutôt je la f’rai r’peindre par des gens qui savent, j’peux plus voir ce violet et j’monterai plus jamais sur un escabeau. 

J’vais prendre un clébard aussi; j’irai l’promener au parc puis ça f’ra d’la compagnie.

Et puis surtout, j’vais aller voir la Cathy, la coiffeuse, l’inviter à boire un café et lui dire des choses. « Dis-moi des mots d’amour mon Pierre, tu sais si bien » On va voir si elle avait raison ou tort ma Lulu.