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Cacophonie tenace

Il est 4h du matin lorsque des cris stridents éclatent et m’arrachent à mes rêves. Je me dresse dans mon lit d’un seul coup, terrifiée. Les hurlements continuent. On dirait que quelqu’un se fait attaquer. Homme ou femme, impossible à déterminer. Je me traîne jusqu’à la fenêtre, ouverte en cette chaude nuit d’été. Il y a une ombre à deux pattes sur le toit : c’est un goéland. Et il n’est pas seul. Chaque toit de la rue semble avoir sa propre version amstellodamoise du coq. Que font-ils là en pleine ville ? La mer est à une bonne heure d’ici.

Le cœur affolé mais soulagée, je me demande pourquoi ces oiseaux n’ont pas hérité d’une oreille musicale comme tant de leurs confrères. Pourquoi la nature ne les a-t-elle pas dotés d’un petit gazouillis mignon et agréable au lieu de ce cri rauque et enroué aux tonalités improbables ? Et pourquoi s’époumonent-ils au milieu de la nuit, si bruyants, à réveiller ces pauvres humains qui dormaient si bien ? 4h du matin, pour se raconter quoi ? Ils savent peut-être que leur « chant » est une calamité, en veulent au monde entier et tiennent à le faire savoir. N’y a-t-il pas de coach dans le monde des oiseaux pour améliorer la situation ? Une émission The Voice des goélands ? Imaginez la scène…

Quatre juges, un chardonneret, un canari, un merle et un rossignol. Tous au top 5 des volatiles qui chantent le mieux. A auditionner les goélands au son le moins crispant pour ensuite les former au secret de la mélodie et de l’harmonie. Une fois au point, ces derniers auraient pour mission de propager ces attributs nouveaux à leurs semblables par mimétisme et de s’assurer une piqure de rappel chaque année. Cela rendrait service à des milliers de gens. 

N’est-ce qu’une utopie ? Et mieux vaut-il s’armer de patience et attendre une évolution de l’espèce pour qu’ils trouvent enfin leur voie/x ? Ces oiseaux sont issus d’un groupe très ancien comme l’indique le Larousse ce ne sont pourtant pas les occasions qui ont manqué. 

Malgré ma fatigue et un concert qui ne faiblit pas, je ne cède pas à l’énervement pourtant grondant, et parviens même à éprouver un peu de sympathie pour ces bêtes. Je songe un instant à rejoindre le club des goélands — avec des bouchons d’oreilles bien positionnés — et d’apporter ma voix humaine pour défendre leur cause. Quand la nuit s’achève, laissant place à des heures plus raisonnables, je commence mes recherches et découvre qu’en plus d’une musicalité incertaine, le goéland souffre d’une crise d’identité. On les confond toujours avec les mouettes. Un dictionnaire des synonymes me donne même mouette en équivalent au goéland. Bien qu’issus de la même famille de volatiles, tous deux sont bien distincts. Physiquement le goéland est plus gros que la mouette, lui a le bec jaune et elle rouge. Leur point commun est qu’ils font partie du même lot des oubliés de Dame Nature à leur création, question voix. « Mouette rieuse »; un nom pour le moins inapproprié pour qualifier ce cri atroce. « La mouette rieuse tire son nom de ses cris éraillés, sortes de hennissements à timbre ricanant ». La description est plus juste. À une addition déjà salée, s’ajoute une antipathie générale. Moqués dans Némo, les goélands n’ont pas non plus eu de place auprès de Blanche Neige à chanter « Siffler en travaillant » au cœur de la forêt. Pauvre piaf, qui doit souffrir le chant mélodieux de tant d’autres congénères.

En joignant nos forces, avec les mouettes, les corbeaux et les coqs, on peut faire changer les choses. Et faire signer une pétition pour que Dame Nature corrige ses travers et espérer un rééquilibre musical d’ici la prochaine génération.

Avant de préparer les tracts, direction un des berceaux du volatile, Le Guilvinec, sur les côtes du Finistère, où j’ai tout le loisir de faire connaissance avec les goélands ainsi que de leurs cousines, les mouettes. Petits yeux jaunes antipathiques, trace rouge au bout du bec, pas de doute je suis au bon endroit. Pour les trouver, rien de plus facile. Il suffit de lever la tête et de tendre l’oreille. Leurs cris diffèrent d’Amsterdam; je me demande si les oiseaux prennent l’accent de là où ils habitent.

Point à creuser.

Vers 17h, on les voit arriver en masse, accompagnant les bateaux chargés de langoustines. « Quand les mouettes suivent un chalutier, c’est qu’elles pensent qu’on va leur jeter des sardines. » disait Éric Cantona. Lui aussi avait confondu les mouettes et les goélands. Car ici, ce sont bien ces derniers qui accompagnent les pêcheurs méritants ou plutôt, essayent de voler leur précieux chargement. Dans cette petite ville bretonne, le volatile déclenche les passions. Pas de manière positive cela va sans dire. Sa seule utilité reconnue est d’indiquer aux marins la proximité de la terre. À part ca, c’est un fléau qui se propage et se reproduit de plus en plus et qu’on ne peut même pas manger. En même temps, ils bouffent tellement n’importe quoi que s’y risquer pourrait se révéler un danger mortel. Cet oiseau n’a décidément pas la cote. Et ma bienveillance s’effrite au fur et à mesure de mes trouvailles.

Je vois que je ne suis pas la seule à avoir les oreilles qui saignent à l’aube. À Paris il y a le même problème. À Marseille également. Et même si leur présence est plus justifiée, ils ont carrément autorisé l’euthanasie de certains spécimens blessés ou en incapacité de voler. Apparemment tout ce boucan citadin est dû à la nidification et cela va cesser après mi-août. Peut-Être mon engagement est-il un peu précipité; je me donne jusqu’à l’année prochaine pour réfléchir. D’ici là, je vais me procurer de nouveaux bouchons d’oreilles révolutionnaires qui cachent les bruits indésirables. La technologie contre les anomalies de Dame nature; voilà une solution plus immédiate !

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