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Oh Cardiff, si tu savais

Tu iras à Cardiff pour ton année Erasmus. 

Chouette ! Où ça ?

Après avoir regardé l’Auberge Espagnole, mes espoirs portaient plutôt sur toutes les destinations ensoleillées possibles : Cadiz, Barcelone, Madrid…

J’ignore où se trouve Cardiff, cette ville ne m’évoque rien du tout. Rien d’étonnant vu mes compétences géographiques désastreuses. Mon père est désespéré par le fait que je ne puisse toujours pas situer Dijon correctement. 

Un rapide coup d’œil sur une carte brise toutes mes illusions : l’année maillot de bain-lunettes de soleil à laquelle j’aspirais tant se transforme en imper et bottes de pluie.

Cardiff, capitale du Pays de Galle au Royaume-Uni. Cette description n’a rien d’exotique.

Mais qu’importe ! L’appel de l’aventure, de l’inconnu est trop fort, et en cela, Cardiff semble déjà prometteuse. Il me faut surtout quitter pour un temps cette université vieillotte et ma petite chambre de neuf mètres carrés, la 112B. La même que mon oncle occupait trente ans plus tôt et dans laquelle rien n’a changé : un lit une place, un lavabo, un bureau. Je l’ai agrémentée d’un frigo, d’un four et d’une plaque de cuisson. Tout le confort à portée d’une tension du bras et d’une torsion du corps. À faire sauter mes champignons dans leur poêle depuis mon lit. À éteindre le four avec mes orteils tout en me lavant les dents. J’ai définitivement besoin d’autre chose. De m’éloigner de ce quotidien, rencontrer de nouvelles personnes, parler anglais et découvrir cet endroit que je ne connais pas.

Les préparatifs sont légers. Tout ce que je sais c’est qu’une chambre (de douze mètres carrés !) m’attend sur les hauteurs de Cardiff dans une cité universitaire, University Hall. Le départ arrive vite. À peine le temps de boucler ma valise et me voilà dans l’avion pour Londres. Pendant les trois heures qui me séparent encore de ma destination, je suis confrontée à mes premières difficultés linguistiques. Je manque de peu de prendre le mauvais train et je dois me débrouiller. Je rencontre mes premiers Gallois. Un charmant couple d’un âge avancé qui m’aide à m’orienter et contribue à faire battre mon cœur un peu moins fort.   

À notre arrivée, la nuit est tombée sur Cardiff. Mes bienfaiteurs m’accompagnent et me voilà saine et sauve sur le campus. Je récupère les clefs de ma chambre, je ne sais pas comment et me retrouve dans la salle commune où je fais la connaissance de mes nouveaux colocataires. Tous sont anglais, je suis la seule étrangère. Immersion totale. Cette journée est passée si vite que je n’ai guère eu le loisir de penser ni d’apprécier les nombreuses émotions depuis que l’avion a décollé. J’emmagasine, et m’endors, exténuée.

Les semaines suivantes tourbillonnent de découvertes, de repérage de lieux, de démarrage des cours, de premières sorties. Notre programme, léger avec huit heures de cours hebdomadaire, dont quatre seulement compatibles avec l’intense vie nocturne, me laisse pas mal de temps. Je déniche des petits boulots : confectionneuse de club sandwichs, déballeuse de carrot cake crémeux à souhait dans le café d’un department store. Puis serveuse au restaurant « Le Monde », où le délicat découpage de la croûte de sel d’un poisson entier me donne des sueurs froides. Je finis par trouver un job régulier au Hilton de Cardiff. À mon premier essai, je détruis un panier rempli de tasses. J’entends encore le fracas et vois la tête de mon employeur qui hausse le sourcil, pas du tout impressionné par mes talents. Il m’embauche malgré tout. 

Pendant le Tournoi des Six Nations, l’équipe de France de rugby vient s’opposer au Pays de Galle et séjourne au Hilton. Je sers Bernard Laporte et les joueurs et obtiens des billets pour assister au match au Millenium Stadium. Les rues sont bondées. Avec mes collègues, nous nous mêlons à la foule, affublée de chapeaux, maquillés, chantant et buvant des pintes de bière, en se prennant dans les bras dans un joyeux désordre. Cardiff est exaltante, et au fil du temps, cette ville que je ne pouvais situer sur une carte devient MA ville. Témoin de mes vingt ans dans un obscur Pizza Hut. À célébrer cette étape avec un verre de vin et des M&Ms en guise de dessert avec le seul ami resté sur place à la veille de Noël.

C’est une année incroyable, riche en expériences en tout genre, qui maintenant s’achève. Dans quelques jours je vais te quitter Cardiff, et retourner dans mon université et ma petite chambre d’un autre temps. Mais c’est une personne grandie qui revient. Avec un anglais un peu meilleur, plus de confiance en elle et des projets plein la tête. Il me suffit de fermer les yeux afin de me replonger dans tes rues aux noms imprononçables. Dans tes bars au sol qui collent sous les chaussures et qui n’ont plus de secrets. Dans St Mary Street, interdite à la circulation le weekend, car les gens font n’importe quoi, où les filles y déambulent court-vêtues, quelle que soit la température. Je peux même sentir l’odeur des kebabs dégoulinants de sauce dans Caroline Street, la plus immonde de la ville, mais qui a empêché des réveils encore plus difficiles.

Cette extraordinaire aventure donnait le ton à une vie de voyages qui continue aujourd’hui, et bien plus tard j’y retournerais.

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