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Descente claquante

Février 1994, Courchevel 1850. De la neige fraîche a habillé les pistes la nuit dernière. Le soleil resplendit, la journée est idéale pour une partie de luge. Pendant que leurs parents sirotent un café en terrasse, Mathilde et Marianne, 5 et 12 ans répètent la danse de la glisse : 

1. Descendre à fond les ballons.

2. Tomber.

3. Manger de la neige.

4. Rigoler.

5. Se relever.

6. Remonter la luge.

7. Recommencer.

Elles s’amusent comme des folles. Mais Marianne en a assez de ramener cette luge et encouragée par les cris de joie de sa petite sœur, elle s’aventure de plus en plus loin sur la piste. Elle se sent grande, responsable. La piste, large et ouverte au départ, se réduit et s’enfonce au milieu des sapins.

Brusquement, tout s’assombrit. Les lacets s’enchaînent, la luge s’emballe et prend de la vitesse aux endroits les plus escarpés. L’atmosphère devient pesante. Pas un rayon de soleil ne perce cette forêt de sapins. Marianne réalise qu’il est impossible à présent de faire marche arrière et elle ignore où s’arrête la piste. Il faut poursuivre et sortir de ces bois oppressants. 

La descente semble ne plus en finir. 

Les bosses les ralentissent constamment. Tous ces sapins et ravins à éviter. Elles sont secouées, la neige les éclabousse. Marianne essaie de maîtriser l’engin du mieux qu’elle peut, mais elles se renversent maintes fois. Il est tard, le froid est mordant et malgré leurs combinaisons, les voilà trempées et grelottantes. Les cris de joie ont laissé place à un silence angoissé et quelques timides « Ça va aller » d’une Marianne emplie de culpabilité qui tente de rassurer sa sœur tout en dirigeant la luge tant bien que mal. Mathilde ressent l’appréhension de sa sœur et se crispe. 

Soudain à l’issue d’un virage, la lumière ressurgit et la fin de la piste se dessine enfin. Elles crient de soulagement. Un panneau Courchevel Village 1550 indique à Marianne à quel point elles se sont éloignées. Mathilde, épuisée, fond en larmes. Il y a des télécabines à quelques pas, mais elles n’ont ni forfaits ni argent en leur possession. Marianne n’a pas le choix; il faut trouver une solution pour ramener sa sœur. Prenant son courage à deux mains, elle se décide à demander de l’aide au responsable des télécabines pour qu’il les laisse revenir à 1850 sans payer.

Pendant ce temps, les parents morts d’inquiétude réalisent que leurs filles sont parties depuis un long moment. Quand ils pénètrent à leur tour dans cette jungle de sapins menaçants et de virages tortueux, la mère manque de s’évanouir. Ils fouillent partout dans les sapins, les trous laissés dans la neige. Ils appellent leurs filles, en vain. La mère succombe à la peur et tremble de tous ses membres, imaginant ses filles chéries blessées ou pire, dans un ravin, dissimulées sous les arbres. Elle doute; Marianne ne se serait jamais aventurée si loin avec sa sœur si petite. Le cœur battant, ils retournent dans la station et cherchent partout, alertent les passants « Avez-vous vu deux filles, une petite blonde en combinaison rose et une plus grande ? S’il vous plait ? » Mais les recherches demeurent infructueuses et craignant le pire, ils finissent par appeler la police. L’agent les écoute, mais ne les rassure nullement : « Écoutez je comprends votre inquiétude. La piste fait deux kilomètres sur 300 mètres de dénivelé avec une pente à 15 % par endroits ! Elle est strictement interdite aux moins de 14 ans à moins d’être accompagné par un adulte c’est bien trop dangereux ! Nous allons envoyer un pisteur à leur recherche. »

Tout est étrangement calme. Juste la petite plainte du vent dans les sapins. Un frisson traverse Marianne de part en part. Le bruit de moteur des télécabines s’est éteint, on entend juste le couinement des câbles. Plus personne autour d’elles. Le temps s’est arrêté. Elles sont seules. Désemparée, Marianne ravale un sanglot. Se tournant vers la pente, elle dit à Mathilde de grimper, mais leurs bottes s’enfoncent dans la neige et elles abandonnent au bout de quelques pas. Elle prend sa sœur dans ses bras et la serre fort.

Un bruit de moteur vient troubler le silence et un étrange véhicule aux yeux jaunes déboule de la piste et arrive droit sur elles. L’espoir renait. Une brève explication sur leur situation et les voilà à califourchon sur la motoneige, reparties en sens inverse dans la forêt. Leur sauveur a pris Mathilde devant lui et lui fait appuyer sur l’accélérateur. La motoneige va vite et se soulève sur les bosses, Mathilde éclate de rire. Tout va bien maintenant. Marianne reprend confiance et a hâte de raconter leurs aventures à ses parents. En quelques minutes, ce moyen de transport incongru les ramène à la station et elles retrouvent un environnement plus rassurant. Elles marchent quelques minutes quand Marianne aperçoit la silhouette de son père. « Papa, Papa, on est là ! » En voyant ses deux filles indemnes, le père de famille se précipite vers elles. Il se dirige droit vers sa grande qui tend ses bras, souriante. Mais la peur, la colère avaient pris le dessus sur le soulagement et la joie de les retrouver. « Tu es complètement inconsciente ! Vous auriez pu vous tuer ! »  Et il lui administre une paire de gifles magistrale.

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