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Surprise ratée, affaire résolue

L’enquêtrice Pénélope Monet s’affale sur la chaise de la salle d’interrogatoire exiguë, étourdie par les effluves des différents parfums des stripteaseuses qu’elle et son collègue, co-enquêteur, Dave Newton, ont vu défiler depuis l’aube.

       J’ai le cerveau en bouillie. Elles sont toutes suspectes ! Sans compter les clients du club, les dealers qui auraient aussi pu faire le coup. Pourtant, aucune n’a de casier, l’arme du crime s’est envolée et personne ne viendra pleurer J.C Maes, gros bonnet du monde de la nuit et, je cite, « pervers et connard fini ». Il avait beaucoup d’ennemis cet homme.

 Elle fait craquer les os de ses doigts puis remet en place, pour la centième fois, la mèche de cheveux rebelle qui lui mange la moitié du visage. 

       Toutes n’ont pas l’air d’avoir le cran de crever les yeux de leur patron jusqu’au cerveau, observe Dave, en mâchouillant son stylo plume.

       Encore heureux ! Faut en vouloir pour faire un truc pareil. Bon, il va quand même falloir vérifier tous les alibis qu’on a entendus aujourd’hui, soupire Pénélope. 

       Cette fille, Candy Doll, je suis sûr de l’avoir déjà vu quelque part. Elle ne te dit rien à toi ?

       Comment ça Dave ? Tu fréquentes ce club sordide ? J’ai du mal à t’imaginer glisser des billets dans les jarretelles des filles du Touareg Lounge ! ironise Pénélope avec un brin de jalousie dans la voix.

Piqué au vif, Dave riposte :

       Pour qui me prends-tu ? Non, il ne s’agit pas de ça.  

       Quoi alors ? Elle se penche sur lui et lit les mots griffonnés à la vite sur son carnet : jupe en cuir, top en sequins… Dave ? C’est quoi cette liste ?

Ce dernier referme son calepin d’un coup sec :

       Rien qui nous aidera à régler cette affaire. Je te prépare une surprise, répond-il avec ses yeux de chaton.

       Non, pas encore une de tes blagues débile ? Exaspérée, elle se lève d’un bon, croise les bras et fait les cent pas dans la petite salle. Essayons de nous concentrer un peu tu veux ? Le rapport du légiste indique que J.C Maes était drogué au moment de sa mort, et maintenant on sait à quoi servait ce billet de 100 francs belge retrouvé dans sa poche de chemise grâce à miss Gambette numéro 4 : à sniffer ses rails de coke ! C’est original. 

       Les BEF étaient les billets le plus en circulation dans les clubs de striptease avant l’arrivée de l’euro; il devait être nostalgique.

       Et comment tu expliques le chronomètre brisé à côté du corps ?

       Les filles sont souvent chronométrées pour être sûr qu’elle ne passe pas trop de temps avec la même personne. L’une d’elles en a eu peut-être assez de se faire fliquer.

Pénélope examine Dave, inquiète de ses connaissances si pointues en matière de striptease.

Sentant le vent tourner, Dave reprend :

       Allez ma Pépé, rentre chez toi et demain, tu t’attaqueras aux alibis. Quant à moi, je vais creuser cette sensation de déjà-vu avec Candy et on fait le point. 

Il l’embrasse sur le front et disparaît. 

De retour à son bureau, Dave ouvre deux fenêtres sur son écran d’ordinateur. L’une pour rechercher des infos sur Candy et la seconde pour aller sur un site en mode incognito. Il ouvre son calepin à la page de la liste et sort sa carte bleue. Il pianote un moment en passant d’une fenêtre à l’autre et sourit, satisfait. 

 Le lendemain au commissariat, il appelle Pénélope, partie sur le terrain :

       Je savais que Candy m’était familière. Elle se prénomme en réalité Eléanor Duvel. C’était la meilleure amie de Claire Rochat, stripteaseuse assassinée voilà deux ans. Toutes deux étudiantes en chimie à l’université. Claire était fauchée et a succombé à l’argent facile qu’elle pouvait se faire le weekend au Touareg Lounge mais a disparu. Elle a été retrouvée morte quelques mois plus tard en Pologne. Il y a eu une enquête pour trafic de femmes et J.C a un temps été suspecté, puis relâché faute de preuves. On n’a jamais coincé le meurtrier de Claire et l’affaire a été classée. Ça ne te parait pas étrange toi, que Candy/Eléanor, fraîchement diplômée en chimie, se mette, il y a quatre mois, à se déshabiller au même endroit que sa copine ?  

— Elle aurait découvert que J.C était coupable et aurait voulu venger son amie ? C’est un peu gros mais ça se tient. Beau travail Dave! On va la ramener pour l’interroger. Mais tu fais quoi de l’arme du crime ? Le légiste ne parvient pas à identifier exactement de quoi il pourrait s’agir. Il parle d’un long clou ou quelque chose du genre.

Un coursier interrompt leur conversation téléphonique et dépose une enveloppe épaisse sur le bureau de Dave qui retrouve sa malice :

    Ah, Pépé, je viens de recevoir une de mes surprises pour toi ! 

—    Arf ! Dave, franchement… dit-elle en raccrochant.

Emballé dans du papier bulle, il découvre un magnifique pic à cheveux vintage en métal, commandé pour Pénélope la veille, tant son tic de ramener sa mèche derrière son oreille toutes les vingt-cinq secondes l’énervait. Cela compléterait parfaitement la panoplie de stripteaseuse qu’il lui avait commandée sur internet après avoir observé les filles la veille.

Dave retire la petite boule de protection et se pique le doigt. Le sang coule et il s’essuie sur la petite boule en mousse qui prend soudain une allure d’oeil ensanglanté. Il sursaute, et revoit Candy, son chignon lâche retenu par un pic semblable qui lui avait inspiré son achat.

Il rappelle Pénélope. 

       Grouille-toi Pépé, finalement, mes blagues débiles, comme tu dis, ont résolu le meurtre ! Je tiens l’arme du crime dans mes mains, ça t’intéresse ?

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