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Licorne, sois fière!

Aujourd’hui a lieu la parade de la Pride à Amsterdam; concluant une semaine de festivités exaltées aux couleurs arc-en-ciel. Et pour la première fois, la compagnie H participe. C’est un moment historique pour la société, l’occasion de vivre ses valeurs, de prôner la diversité et d’envoyer un message clair à ses collaborateurs : vous êtes tous les bienvenus tels que vous êtes, soyez vous-même ! Au comble de l’excitation, les quatre-vingts employés chanceux s’apprêtent à embarquer sur le bateau. Parmi eux, il y a des gays, des lesbiennes, des trans, des drag queens, des hétéros, des bis. Et Hans. Un hollandais d’une trentaine d’années. Arrivé plus tôt, encore tiraillé, à se demander s’il avait fait le bon choix, le voilà à présent remonté à bloc; prêt à célébrer l’amour sous toutes ses formes, représenter la communauté LGBTQ avec fierté et afficher ouvertement son homosexualité. 

Pudique, Hans avait longtemps hésité avant de franchir le pas et d’envoyer sa vidéo de candidature, les places à bord étant limitées. Au bureau, personne ne sait qu’il est gay et il n’avait nullement l’intention de se dévoiler. Pourtant, poussé par la positivité générale à l’annonce de cette nouvelle, et soutenu par son compagnon, il s’était laissé persuader. Quand la réponse lui confirmant sa place lui était parvenue, il avait été assailli de doutes et avait failli faire machine arrière. Et si le regard que l’on porte sur lui changeait, gâchait ses relations de travail ? 

Les préparatifs ont eu lieu dans une joyeuse pagaille. À son arrivée, les organisateurs l’ont accueilli chaleureusement et lui ont remis un t-shirt rose, imprimé d’une grosse tête de licorne. Autour de lui, des collègues plus ou moins proches s’affairent. Tous les niveaux de la hiérarchie sont représentés et il règne une énergie bienveillante. Ils sont coiffés de perruques flashy, de couronnes dorées. Les paillettes et les plumes volent dans tous les sens. Sur les visages, Hans ne voit que des sourires, les yeux étincellent. Il se détend et se laisse peu à peu envouter. La magie opère et les langues se délient et des histoires sont partagées, des coming-outs plus ou moins douloureux sont racontés, renforçant les liens de ces âmes blessées. Aucun jugement, aucun malaise quand il raconte à son tour son histoire; et il lui en faut du courage pour se mettre à nu à nouveau, mais il se sent soulagé, et ses peurs se sont envolées.

Enfin, le bateau s’engage, parmi d’autres, tout aussi tapageurs. La musique s’élève, ainsi que la voix puissante de la chanteuse Kimberley soulevant les passions et l’enthousiasme des passagers prêts à vibrer à l’unisson. Hans s’enflamme. À la sortie du premier pont, c’est une bouffée de chaleur humaine qui l’atteint de plein fouet. Des milliers de gens sont venus assister au défilé, agglutinés sur les bords des canaux. Toutes les générations sont présentes. Des petites filles sont habillées en garçons, et vice versa; des personnes plus âgées portent des tenues équivoques, certains sont même presque entièrement nus ou vêtus seulement d’un accessoire masochiste. Cette cohue aux mille couleurs déjà excitée attend les prochaines réjouissances.

Sur l’embarcation, la musique donne le ton, Hans brandit sa baguette et bientôt c’est un amas d’étoiles qui s’élève. Au signal, tout le monde est en rythme, appliquant la routine apprise quelques heures plus tôt. La foule imite les pas de danse, crie, chante les mélodies, en parfaite harmonie. Hans cherche les regards d’inconnus sur la rive et se lie à eux le temps d’un salut, d’un clin d’œil, d’un cœur fait avec les mains. Ces brefs échanges le gonflent d’euphorie, fruit d’une connexion furtive, mais intense. Une osmose parfaite. L’amour est palpable, il est partout sur les pancartes aux mots suggestifs, sur les lèvres qui s’embrassent. Le prochain pont est proche, la routine recommence. Hans, fiévreux presque en transe se déhanche et chante à tue-tête, savourant chaque minute de cette expérience extraordinaire. Entre deux parfaits étrangers, ce sont les yeux de son compagnon qu’il croise cette fois. Des yeux remplis d’émotion et de fierté, de paroles silencieuses qui crient l’amour. Hans rie et tend ses bras en un geste libérateur. 

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