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Le détail qui tue

« Braquage au Petit Casino, avenue des Frères Lumières, dans le 6e arrondissement de Lyon. Une femme abattue. L’auteur des faits reste introuvable. »

Le détective Larsonne ouvre le Dauphiné et continue sa lecture : l’individu est parti avec une partie de la recette; il a pris en otage les rares clients avant de faire feu sur une femme et de s’enfuir avec son butin.

– Pauvre fille. Au mauvais endroit au mauvais moment, marmonne-t-il dans sa barbe rousse.

— Des suspects ? demande le commissaire Bellâtre à qui le patronyme ne pouvait pas plus mal correspondre. Il a la cinquantaine bien entamée et le charme d’une poutre, mais l’esprit aussi vif que l’éclair.

— Un camé du coin, Chef. On va l’auditionner. Il a un casier bien fourni et on a retrouvé pas mal de fric sur lui. Il porte des baskets blanches de marque Nike, comme le suspect, d’après les témoignages.

— Que sait-on sur la victime ? poursuit le commissaire en se curant le nez.

— Caroline Morisson, dentiste dans le quartier. Elle faisait une course avant de se rendre à son cabinet, une des caissières dit l’avoir déjà vue. Elle vient de perdre ses parents et elle a un frère qui vit à Lyon aussi. Il est en route. 

Bellâtre écoute d’une oreille distraite quand un officier interrompt leur conversation et annonce l’arrivée de Teddy Mouton, 25 ans, le fameux camé. Larsonne se charge de l’interrogatoire :

— Alors Teddy, tu faisais quoi hier vers 8 h 45 ?

— Hier ? Chais pas. Je devais être défoncé comme d’hab, pourquoi ? Il renifle et ses yeux rouges en disent long sur ses activités récentes.

— T’as pas entendu parler du braquage du Petit Casino ? Tu corresponds parfaitement au profil du suspect, mec. Et tout cet argent sur toi, il vient d’où ?

— Hein ?! Je vends de la drogue moi, c’est tout. C’est la recette de la nuit. Je tue pas les gens, chuis pas au courant de votre truc moi.

L’agent grille Teddy un moment puis retrouve le commissaire, dépité.

— Il a pas avoué, Chef.

— Gardez-le au chaud, Larsonne, c’est notre seule piste pour le moment.

L’enquêteur emmène Teddy en cellule et ils croisent le frère de la victime, Charles Morisson, qui arrive au commissariat. La vingtaine, habillé dernier cri de la tête aux pieds, il tremble de tous ses membres. Larsonne lui offre un café et le fait assoir sur une chaise où il s’effondre :

— Vous avez une idée de qui a pu faire un truc pareil ? demande Charles en enfouissant sa tête dans ses mains.

— Pas encore Monsieur Morisson.

Il pose une main sur l’épaule de Charles. 

— Voulez-vous bien répondre à quelques questions ?

Charles hoche la tête.

— Quand avez-vous vu votre sœur pour la dernière fois ? interroge le policier.

— Chez le notaire, la semaine dernière. Sa voix se brise.

— Et que faisiez-vous hier matin vers 8 h 45 ?

— J’étais en route pour l’université, j’ai repris des études de commerce.

Le lendemain, Teddy clame toujours son innocence est aucun autre suspect n’est interpellé. Machouillant un stylo, Larsonne se repasse en boucle les deux interrogatoires, et il en est à se demander comment un étudiant peut se payer ce genre de fringues, quand le téléphone l’arrache à ses réflexions. Il déboule dans le bureau du commissaire :

— Chef ! L’argent volé vient d’être retrouvé dans une consigne de la gare Saint Exupéry ! Il ne manque pas un centime.

— Comment ? OK, on reprend tout. Commençons par les caméras de surveillance du Petit Casino. Il met en route la bande vidéo.

On y voit un homme cagoulé, vêtu d’habits noirs entrer dans le magasin en braquant une arme sur la caissière et les clients. Il leur hurle de se mettre à terre et de garder les yeux sur le sol. Sa voix est déformée par un transformateur de voix. Il ordonne à la caissière de vider les deux caisses du magasin et de remplir un sac en plastique avec l’argent. La victime est proche de lui. On la voit relever la tête brusquement, le suspect fait feu et disparait. Le tout n’a pris que quelques minutes.

Bellâtre se gratte le menton en silence, les yeux rivés sur le moment ou le coup part.

— Allez perquisitionner chez Mademoiselle Morisson, on trouvera peut-être d’autres éléments.

Larsonne s’exécute et revient quelques heures plus tard en brandissant un carnet :

— On a son agenda ! Regardez. Elle avait rendez-vous à la Société Générale à 20 mètres du Petit Casino, à 9 h. On a aussi retrouvé le nom d’un notaire.

Ce dernier est convoqué :

— Je connais bien Madame, paix à son âme. Ses parents étaient mes clients. Elle venait d’hériter de la totalité des biens des parents.

— La totalité ? répète le commissaire, avant de s’adresser à son co-équipier :

— Vous pensez toujours qu’elle était là au mauvais endroit au mauvais moment ? 

Devant la tournure des événements, la juge donne carte blanche à Larsonne et Bellâtre qui poursuivent leur enquête. Caroline avait rendez-vous à la banque pour accéder aux biens de ses parents qui avaient créé un trust afin que le frère ne touche pas sa part avant ses 30 ans. D’après les papiers, le caractère instable et dépensier de Charles avait conclu à cette décision qu’il n’avait pas digéré. Joueur de poker criblé de dettes, il ne pouvait plus assouvir ses achats compulsifs. Le dernier en date était une paire de Nike blanche au logo inversé à près de 8 000 euros, détail qui a visiblement permis à Caroline de reconnaître son frère lors du braquage. La mort de sa sœur aurait annulé le trust et Charles aurait pu profiter pleinement de l’argent en tant qu’unique héritier.

Bellâtre et Larsonne se rendent à la gare Saint Exupéry pour arrêter Charles sur le point de quitter Lyon. Un relevé de banque confirma les derniers détails : Charles avait bien loué la consigne, mais n’avait pas pu la vider avant la fin des vingt-quatre heures. Il avait aussi pris un billet de train pour l’Allemagne.

Dans la foule, ils le repèrent facilement. Sa silhouette ressemble à s’y méprendre à celle du pauvre Teddy.

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