Nouvelles

In girum imus nocte et consumimur igni

C’est le froid qui réveille Chloé. Elle est allongée sur le sol, sa jupe remontée jusqu’en haut de ses cuisses. Engourdie, elle s’assoit, enlace ses épaules, et frotte ses bras pour se réchauffer tout en scannant les alentours. L’endroit où elle se trouve n’est éclairé faiblement que par une lampe frontale posée près de son cartable. Un silence de plomb habite ces murs de pierre hostiles. L’air qu’elle respire est étouffé, rare; comme donné au compte-goutte. Aucune brise ne transperce ces murs épais d’un autre âge. Elle s’empare de la lampe et regarde à gauche, puis à droite. C’est une sorte de galerie sans fond. Un gigantesque couloir dont les parois sont taguées d’inscriptions et de graffiti.

— Y’a quelqu’un ? lance-t-elle. Elle lâche un cri de surprise : sa voix ne porte pas ni ne résonne. Elle hurle à en perdre le souffle; mais ses appels restent sans réponse.

Ce qu’elle fait là, et depuis combien de temps, elle ne saurait le dire. Abandonnée dans un trou noir, ignorant que les pierres qui ont l’air si solides, sont en fait par endroits de véritable chamboule-tout qui peuvent s’effondrer sur elle à tout moment.

Chloé hoquette et fond en larmes, quand le froid la saisit. Tremblante, elle enfile la lampe frontale, mouche son nez dans la manche de son t-shirt, endosse son cartable et part à la recherche d’une sortie dans les méandres de ces couloirs obscurs, la tête nue et en sandalettes d’été.

***

Tous les commissariats de Paris sont sur le qui-vive. C’est le troisième enfant qui disparait de la main du même funeste chef d’orchestre qui joue avec les nerfs des autorités depuis des semaines.

Les deux derniers enlèvements se sont soldés par des échecs douloureux. Les pauvres gosses étaient morts de faim, seuls, piégés dans des endroits étriqués que la police n’avait pas su trouver à temps. La disparition de Chloé, dix ans, a été signalée par ses parents, inquiets, lorsqu’elle n’était pas rentrée de l’école à l’heure convenue, il y a maintenant plus de 24 heures. 

Pour chaque enfant, le commissariat a reçu une carte postale blanche avec une ligne en latin imprimée au tampon encreur. Celle-ci contient ces mots : In girum imus nocte et consumimur igni.

— Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu. Le Commissaire Bonnet répète en mantra ces mots sinistres. Quel malade ! 

La fatigue se lit sur son visage. Il a assisté, impuissant, tout comme ses confrères, à la découverte des deux autres enfants. Le maitre chanteur leur avait communiqué les lieux, sachant qu’il n’y avait plus rien à faire pour les sauver. Cette fois, ils ont un train d’avance et sont sûrs de leur coup : l’inscription correspond à une plaque sous la fresque de Lone Sloane dans les catacombes. Pas les publiques, les clandestines.

— Les équipes sont prêtes ? Demande Bonnet au Lieutenant Alegra.

— Oui Commissaire, la brigade des catacombes ainsi que le GRIMP* sont sur place. Un agent est posté à toutes les entrées connues au cas où la petite fille ressorte par elle-même. On va la trouver ! 

Bonnet aimerait partager l’optimisme d’Alegra, mais il sait aussi que les catacombes contiennent quelque 300 kilomètres de tunnels à plus de 20 mètres sous la surface et dont la totalité n’a pas encore été explorée. 

***

Le petit lapin, s’est caché dans le jardin, cherchez-moi coucou coucou, je suis caché sous un chou.. Ignorant tout de l’agitation dont elle est l’objet, Chloé poursuit sa progression dans le tunnel en reniflant. Désorientée, elle chantonne pour se donner du courage et combler le silence pénétrant, mais sa voix n’est qu’un souffle. Il y a eu plusieurs bifurcations, des passages très resserrés qui l’ont forcé à marcher à quatre pattes, des culs de sacs, mais toujours aucun signe de sortie. Certains conduits sont inondés et elle est trempée jusqu’aux os. Sa jupe est déchirée, ses mains et genoux ensanglantés par les multiples chutes et elle ne cesse de se cogner la tête. Elle avance malgré tout, aux aguets à chaque tournant, de peur de voir surgir une bête féroce ou pire. Ses muscles raidis par le froid la ralentissent et ses dents claquent sans qu’elle puisse se contrôler. La faim et la soif la tenaillent. 

Soudain elle trébuche et tombe dans un puits profond de quelques mètres. Dans la chute, la lampe rend l’âme. Les ténèbres dévorent Chloé qui se tétanise, se recroqueville sur elle-même et se cale contre le mur du puits. 

Papa, Maman, cherchez-moi coucou coucou je suis cachée dans un trou.

***

Le groupe d’intervention progresse avec prudence dans les galeries étroites. Ils cherchent des heures durant, appelant Chloé. Ils ne sont pas nombreux vu la dangerosité des lieux et comptent sur les deux maîtres-chiens qui les accompagnent pour retrouver la petite au plus vite. La tension est palpable, ils connaissent cet endroit mieux que quiconque et ont souvent des mauvaises surprises. La dernière intervention a failli mal se finir pour un homme de 36 ans qui a erré presque deux jours dans ce labyrinthe. Alors une gamine de dix ans ?

Quand l’une des équipes localise son cartable, l’émotion gagne les policiers qui ne lâchent rien et s’enfoncent plus profond dans les entrailles des catacombes. 

Soudain, un des chiens aboie et s’arrête devant une cavité. Son maître découvre Chloé au fond du puits, inconsciente.

Vite, il contacte le GRIMP qui le rejoint quelques minutes plus tard et procède à l’extraction délicate de la fillette. Son pouls est faible et elle est hypothermie, mais elle est en vie pour le moment, il faut encore la sortir de là.

Quand tout danger est écarté pour Chloé, le commissaire Bonnet félicite ses équipes, tout en sachant que la lutte contre l’auteur de ces crimes effroyables ne fait que commencer. Le teint blafard d’Alegra brandissant dans sa main une nouvelle carte postale, met un terme définitif au soulagement temporaire. 

*GRIMP : Groupe de Reconnaissance et d’Intervention en Milieu périlleux

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *