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Chronique d’une journée pas si ordinaire

GOÛTER!!!!! s’égosille la mémé depuis le perron à 16h30 pétantes.

Où que l’on se trouve, on ne peut pas manquer son appel. Des quatre coins de la ferme surgissent les petits et les grands, attirés par l’odeur du café brulant. Il est servi dans des bols, accompagné de généreuses tartines de pain de campagne frais où l’on dépose du comté de la fruitière. Pour les gosses, ce sera des nonnettes, un  yaourt maison et un carré de chocolat noir Poulain. Trois générations sont réunies autour de la table à la nappe fleurie, saccadée de coup de couteaux et de taches collantes. Les mouches s’y attardent avant d’être tuées d’un claquement de tapette à mouches ou de s’engluer dans le long serpentin, redoutable aussi pour les cheveux.

— Eh les croués! On vous a dit combien de fois de pas piquer la farine dans le moulin?

Les coupables, brochette de cousins de cinq à dix ans, crottés de la tête au pied et blancs de poussière de farine se tournent vers leur oncle Hubert :

— C’était pour faire des gâteaux avec la boue, mais promis on en a pas trop pris.

— Ouais ben que je vous le répète pas, répond Hubert pour la forme en croquant dans son pain avant de marmonner dans sa moustache :

— L’Aligot va bientôt vêler, ça doit être pour ce soir.

À ces mots, Anne, sept ans lâche sa cuillère les yeux écarquillés :

— Dis Tonton, tu m’emmèneras avec toi, je veux voir ça!

— On verra si t’es bien sage! Lui lance-t-il en lui faisant un clin d’œil.

Les chaises raclent le sol, les bavardages vont bon train et tout ce petit monde se restaure dans un joyeux brouhaha avant de reprendre leurs activités. Les oncles repartent aux champs et embarquent avec eux les garçons pour le ramassage des patates. Les filles vont nourrir les lapins. La mémé a deux cageots de haricots à équeuter et le pépé ramasse les framboises qui auront disparu avant même d’être changées en confiture. Tout cela au rythme des poules qui caquètent et des chiens qui aboient.

Plus tard dans la soirée, le téléphone sonne, c’est Hubert qui avertit la mémé :

— Dis à Anne de descendre, le veau arrive.

En une seconde, elle chausse ses bottes et fonce à la stabu. Elle est accueillie par les meuglements d’Aligot et les échanges des oncles :

— Allez Aligot, un petit effort. Ah t’es là toi? T’approche pas trop, elle donne des coups.

Dans la pénombre du box, tapissé de paille souillée de bouses, les oncles revêtus de leur sacro-saintes blouse vertes s’affairent autour de la bête qui malgré la sangle qui la retient à une barre, trépigne d’inconfort. Hubert enfile un long gant et soulève la queue de la vache. Anne se couvre les yeux. Il va quand même pas mettre sa main dans ses fesses! Elle entrouvre les doigts et voit le bras ENTIER, avalé par le derrière de la vache et l’oncle qui farfouille, c’est dégoûtant!

Soudain une poche bleu translucide se perce et un torrent d’eau se déverse sur la paille et éclabousse jusqu’aux genoux. Anne étouffe un cri, elle n’est plus trop sûre de vouloir rester. Personne ne l’a préparée à ce qu’il se passe devant elle, mais elle est incapable de bouger, hypnotisée. Elle cache son nez dans sa manche pour masquer les odeurs de transpiration mêlées aux effluves de bouse et d’urine. Aligot s’effondre de fatigue et s’allonge sur le côté. Deux sabots font leur apparition et les oncles attachent une corde autour pour aider le veau à sortir. Hubert lui tend un bout :

— Allez vas-y tire avec nous!

Anne hésite puis s’empare de la corde et tire de toutes ses forces. Enfin la tête de l’animal se dégage, ses petits yeux noirs sont ouverts, mais il est encore prisonnier du corps de sa mère. Oh! hisse! On tire, les encouragements des oncles se mélangent aux cris de la vache. Anne met tout son cœur à cette tache loin des activités citadines qui l’occupent habituellement et pleure de joie et de fatigue. Le veau se libère enfin et se retrouve par terre, tout mouillé, les restes de la poche collée à ses poils. Il est tout visqueux, mais Anne l’aime instantanément; il est si beau avec sa petite lunette à l’œil droit. L’oncle donne un seau d’eau à Anne qu’elle déverse sur le veau et ensuite lui montre comment le frotter avec la paille pour le débarrasser du sang et le stimuler. Anne ne s’est jamais sentie aussi grande et responsable. L’agitation retombe laissant place au calme. Aligot récupère, les oncles soupirent de soulagement. Hubert lui tend maintenant le « biberon »; un bidon sur lequel on a accroché une tétine. Anne prend la grosse tête de l’animal entre ses mains et reproduit les gestes qu’elle maitrise si bien avec sa poupée. Mais ce petit veau effrayé est une autre paire de manches :

— Allez bébé, c’est du bon lait de ta maman, bois.

— C’est une femelle. Tu vas l’appeler comment? C’est l’année des C.

Interloquée par la série d’événements qui s’est produite en si peu de temps, Anne baptise le nouveau-né d’un balbutiement :

— Je veux l’appeler «Chinoise».

Fière, elle remonte gaiement voir sa grand-mère qui l’attend avec un bon bol de lait chaud. Les mains croisées sur son ventre, elle écoute sa petite-fille lui raconter la naissance de SA vache, histoire qu’elle a entendue des dizaines de fois auparavant mais qu’elle écoute attentivement, les yeux brillants.

***la correction se fera plus tard sur le blog***

Un commentaire

  • Sabrina P.

    Coucou Audrey ! Je ne reconnais pas là consigne, mais j’ai beaucoup aimé ton texte. Je l’ai trouvé frais et même touchant, avec des personnages que j’imagine fort bien et une vie qui se déroule ainsi, avec les naissances, les tartines de fromage, bref la vie à la campagne.

    Je vois que tu continues à prendre du plaisir à écrire les consignes et tant mieux pour nous ! Au plaisir, belle soirée à toi.

    Sabrina.

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